Des nuages noirs sur Çanakkale, terre de légen­des, con­nue pour sa mag­nifique nature et son his­toire. La ville qui a résisté depuis des années à l’ex­trac­tion d’or au cya­nure est aujour­d’hui en dan­ger à cause d’un pro­jet de con­struc­tion de 11 cen­trales ther­miques. Cinq de ces cen­trales sont en cours de réal­i­sa­tion sur les rives de Kara­bi­ga avec ses 15 km d’é­ten­due de sable vierge, sa plage au label “dra­peau bleu” où vivent des pho­ques, et près de Pri­a­pos, ville antique. Le pro­jet prévoit sur la presqu’île de Biga, sept autres cen­trales. La con­struc­tion de ces cen­trales est prévue sur des zones forestières faisant par­tie du pat­ri­moine de l’E­tat turc et men­ace 360 milles arbres, ain­si que la san­té des habi­tants. Ayant été témoins de l’ex­plo­sion de cas de can­cer après la proces­sus de l’in­dus­tri­al­i­sa­tion de la région de Dilo­vası, les habi­tants ont peur ;  ils ne veu­lent pas de ces cen­trales et posent cette ques­tion “Pourquoi Kara­bi­ga ?”.

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Actuelle­ment cer­taines cen­trales sont encore à l’é­tude dans le cadre d’une éval­u­a­tion d’im­pact envi­ron­nemen­tal [ÇED- Çevre­sel Etki Değer­lendirme]. Qua­tre cen­trales sont en activ­ité mais puisque la plu­part des cen­trales sont en dou­ble unité, ce chiffre est bien plus impor­tant. Aucune des cen­trales encore en phase de pro­jet n’est en unité unique donc le chiffre peut mon­ter jusqu’à 15 ou 20 cen­trales à Çanakkale. La spé­ci­ficité de ces cen­trales (à part celle du Çan) est leur fonc­tion­nement au char­bon trans­féré. Il n’ex­iste pas de mines dans la région donc le char­bon sera achem­iné par bateaux. Ces cen­trales “avec vue sur la mer”, utilis­eront pour le refroidisse­ment : l’eau de mer. L’én­ergie pro­duite sera con­duite par des pipelines vers la Trace pour être com­mer­cial­isée vers l’Europe.

Les paysannes con­tre les ingénieurs d’environnement !

La pop­u­la­tion de Kara­bi­ga vit de pêche et d’a­gri­cul­ture. Cet énorme pro­jet de cen­trales est devenu le cauchemar des habi­tants mais pas que…  Le nom­bre de deman­des d’é­val­u­a­tion d’im­pact envi­ron­nemen­tal est telle­ment impor­tant que la plu­part des habi­tants par­ticipent à deux réu­nions par semaine. Ils ont telle­ment appris sur le sujet qu’ils arrivent à tenir tête aux experts. Marre d’é­couter dans ces réu­nions, les bien­faits des cen­trales, aus­si bien leur béné­fices économiques que les qual­ités “envi­ron­nemen­tales” des tech­niques util­isées, les habi­tants ont décidé de pren­dre les choses en main, et de trans­former ces réu­nions rébar­ba­tives et admin­is­tra­tives, en de vraies réu­nions de lutte.

Celle du 2 décem­bre 2014, a réu­ni les habi­tants qui ont com­pris depuis longtemps le vrai car­ac­tère de ce pro­jet, et les ingénieurs. La présen­ta­tion de l’en­tre­prise est ter­minée avant de com­mencer. Toute la salle a con­testé d’une voix unanime : “Ne nous expliquez pas la cen­trale ther­mique, nous savons très bien ce que c’est. Nous vous avons assez écouté. Répon­dez à nos ques­tions ! “. Zeli­ha Akyel, 55 ans, a posé la pre­mière ques­tion, “Pourquoi avez-vous choisi Kara­bi­ga pour implanter 5 cen­trales ther­miques ?” et elle a con­tin­ué : “Vous allez ren­dre mes petits enfants malades, avant qu’ils puis­sent grandir. Puis vous allez fichtre le camp, et c’est nous qui allons rester dans les cen­dres. Nous ne voulons pas de cen­trale thermique !”

Voici Leurs ques­tions en attente de réponses : 

Pourquoi avez-vous choisi exprès les zones forestières ?”

Tout le monde laisse tomber les cen­trales ther­miques,  Kara­bi­ga doit-elle répon­dre au manque d’énergie ?”

Pourquoi ne venez-vous pas avec un pro­jet d’én­ergie éolienne ?”

Vio­la­tion des fron­tières des phoques

Fatih Akyel, pêcheur et mem­bre du con­seil munic­i­pal de Kara­bi­ga, a pré­cisé que la région choisie pour la con­struc­tion des cen­trales, se trou­vait dans la “Zone de Pro­tec­tion de la Vie Sauvage” [Yaban Hay­atı Koru­ma Sahası] et que des pho­ques vivent dans cette zone. Sur la réponse de l’ingénieur représen­tant l’en­tre­prise : “Il y avait sans doute une erreur et la Direc­tion Générale de Plan­i­fi­ca­tion de Espaces [Mekân­sal Plan­la­ma Genel Müdür­lüğü] nous a fait part de ce prob­lème”, Fatih Aksel pour­suit “Nous croi­sons ces pho­ques tous les jours quand nous par­tons péch­er, vous croyez que ces pho­ques vont dire : excusez-nous, dans ce cas on va par­tir ?.  Ces pho­ques vivent et se repro­duisent ici depuis des années. De quelle erreur parlez-vous ?”

A la fin de la réu­nion, les habi­tants de Kara­bi­ga sont par­tis sans réponse de la part des représen­tants. Mais ils con­nais­saient déjà les réponses : 

Pas Cenal mais “canal”

Aslı Badem, prési­dente de l’As­so­ci­a­tion Nature Pro­pre de Kara­bi­ga [Tem­iz Doğa Derneği] explique que la con­struc­tion qui a com­mencé en 2011 se trou­ve à 300m de sa mai­son. “Nous n’ap­pelons pas cette cen­trale par son nom ‘Cenal’, mais ‘canal’  [en turc = qui prend la vie]. Il s’ag­it de Zeytin­lik, le plus grand quarti­er de Kara­bi­ga  situé dans la zone de pro­tec­tion san­i­taire. Nous avons fait des deman­des pour l’ar­rêt des travaux et lors de nos démarch­es, nous avons appris que cette con­struc­tion n’avait aucune autori­sa­tion. Depuis nous sommes en guerre administrative. ”

Un réseau de cen­trales thermiques

Kamil Aru est fer­mi­er et prési­dent de l’As­so­ci­a­tion Envi­ron­nemen­tale de Biga [Biga Çevre Derneği]. Il subit depuis longtemps les effets néfastes des cen­trales exis­tantes. Il explique que ses plan­ta­tions sont endom­magées, et qu’il n’a plus le même ren­de­ment sur ses ter­res. “Ce n’est pas une, ni deux, ni trois… ils vont align­er un nom­bre énorme de cen­trale côte à côte. C’est du jamais vu, ni ailleurs dans le monde, ni en Turquie. Ils veu­lent con­stru­ire car­ré­ment un réseau de cen­trales ther­miques à Biga.”

Le voy­age en l’Allemagne

Les habi­tants de Kara­big sont fâchés con­tre leur maire Muzaf­fer Karataş de CHP [Par­ti Répub­li­cain du Peu­ple]. Aslı Badem exprime la colère de tous “Quand le maire de Yalo­va a coupé les arbres tout le monde a réa­gi. [La Mairie de Yalo­va a été très cri­tiquée pour avoir coupé 180 arbres dans le cadre d’un pro­jet de route]. Notre Maire a don­né son accord pour des cen­trales ther­miques et per­son­ne ne dit rien. Quand la pre­mière cen­trale a été prévue, le Maire était avec nous. Il s’est mobil­isé avec nous, il a organ­isé lui même des réu­nions pour expli­quer les effets néfastes des cen­trales. Puis ils [l’en­tre­prise ? Les respon­s­ables admin­is­trat­ifs ?] ont emmenés le Maire et les prési­dents du con­seil munic­i­pal des vil­lages con­cernés, en Alle­magne, pour leur faire vis­iter des cen­trales ther­miques. A leur retour tout avait changé. Ils ont mon­té le projet”. 

Chauffage Cen­trale

Hicri Nal­bant, mem­bre du con­seil munic­i­pal, ancien prési­dent de la Cham­bre des Ingénieurs d’A­gri­cul­ture et de la Plat­forme d’En­vi­ron­nement de Çanakkale, a dit que le nou­veau rôle de Kara­bi­ga est “de devenir le four du chauffage cen­trale. “Actuelle­ment l’én­ergie pro­duite dans la ville est de 2.000 mégawatts. Avec la réal­i­sa­tion du pro­jet, ce chiffre dépassera les 11.000 mégawatts. Les cen­trales brûleront 40 mil­lions de tonnes de char­bon, pro­duiront près de 15 mil­lions tonnes de cen­dres,  explique-t-il.  Les métaux lourds des cen­dres pol­lueront les ter­res. Il y aura des pluies acides. La cul­ture de fruits et légumes sera anéantie. Canakkale est sur le point d’en­tr­er dans un proces­sus de dis­pari­tion totale. Si on ne peut pas l’ar­rêter, Kara­bi­ga partagera le même des­tin que celui de Dilo­vası et Aliağa.”

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Source et pho­tos : Cumhuriyet — Özlem Güvemli

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