Je n’ai pas de fils à l’âge d’être appelé à faire son ser­vice mil­i­taire. A vrai dire je n’ai pas de fils du tout, je suis mère de filles. N’empêche, mon coeur saigne pour les mères qui pleurent leurs fils tués dans cette guerre déclenchée par l’am­bi­tion du mau­dit pouvoir.

Mais bon sang, nos enfants péris­sent ! Enfin, ceux qui péris­sent sont les enfants de pau­vres. Les enfants de ceux qui n’ont pas les moyens, comme cette mère, de pay­er pour son fils, le ser­vice mil­i­taire “achetable”. Tout le monde n’a pas dans sa poche, 18 milles livres turcs, équiv­a­lent d’en­v­i­ron 6000€ . 18 mois de tra­vail pour un tra­vailleur payé au SMIC turc , c’est à dire 1000 livres (330€). Autrement dit, c’est le prix de la vie d’un fils du pauvre.

J’ai lu un arti­cle aujourd’hui. J’avais des larmes aux yeux et la rage au coeur. Le pre­mier qui serait venu m’embêter aurait pris un bon coup de savate sur la tête…

Je partage l’ar­ti­cle avec vous, et je vous laisse avec vos pensées.

Par­donne-moi mon fils, je n’avais pas 18 milles livres !
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La mère en douleur avait enlacé le cer­cueil, elle demandait par­don ain­si à son fils : « Par­donne moi mon fils, je n’avais pas 18 milles livres ».
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En Turquie chaque garçon nait sol­dat, s’il est né dans une famille pau­vre. Sa famille et voisins l’envoient au ser­vice avec joie et cri­ent tous ensem­ble ‘Le plus grand sol­dat, c’est notre soldat ! ».

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Pour­tant lors de cette fête, et de ces  envois en l’air, un incendie se déclare dans le coeur de chaque maman dont le fils devient sol­dat. Chaque jeune fiancée fond en larmes dis­crète­ment. Parce que mal­gré tout le tin­ta­marre elles savent qu’elles envoient peut être un être cher à la mort..

Plus tard, il arrive que les funérailles d’un de ces chéris survi­en­nent et la foule crie encore : « Les mar­tyrs ne meurent pas, la patrie ne se divise pas ! ». Per­son­ne ne demande pourquoi mon fils est mort, pourquoi les enfants des autres ont payé 18 milles livres turques et ont pris leur quille (tezkere) sans faire une seule journée de ser­vice. Comme ils ne deman­dent pas pourquoi il y a des acci­dents dans les mines et des cen­taines de mineurs qui sont morts. Comme ils ne deman­dent pas, pourquoi leurs enfants ne peu­vent pas aller dans des écoles chères et qu’ils sont oblig­és d’aller dans des écoles religieuses. Comme ils ne deman­dent pas pourquoi un turc pau­vre et un kurde pau­vre sont des per­dants dès leur nais­sance. Comme ils ne deman­dent pas pourquoi ils sont payés 30 livres en tra­vail­lant dans la cueil­lette de fruits du matin au soir, sous une chaleur épuisante. Pourquoi leur mai­son n’est qu’une pièce. Pourquoi ceux qui pos­sè­dent les 18 milles livres ne font pas plus de 2 enfants. Pourquoi ils ne man­gent que du boul­go­ur et du yaourt à la mai­son. Eux, ils s’appellent « les pau­vres » et hélas ils croient, avec un dés­espoir appris, que le Dieu ver­ra ces injus­tices et qu’il les récom­pensera par le paradis.
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Mais le Dieu ne les voit pas. Le Dieu aide les rich­es ! Leurs enfants ne meurent pas sur des fron­tières ! Leurs enfants ne devi­en­nent pas « mar­tyrs » ! Leurs enfants ne man­i­fes­tent pas dans la rue ! Leurs enfants ne snif­f­ent pas de la colle dans des coins de rue ! Leurs enfants ne se font pas vio­l­er dans les recoins des ciné­mas obscurs ! Leurs épous­es ne vont pas faire le tapin sur des autoroutes ! Leurs filles ne devi­en­nent pas des ouvrières du sexe. Le Dieu leur offre les meilleures écoles. Le Dieu leur offre les meilleures car­rières. Le Dieu leur offre des mai­son, des bateaux. Le Dieu leur donne le par­adis sur Terre. Eux, il n’attendent pas l’au-delà !
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Ceux qui pensent qu’ils seront récom­pen­sés au par­adis, comme ils devi­en­nent heureux quand ils reçoivent la viande de trois sous, du mou­ton sac­ri­fié par les rich­es qui se gar­dent les meilleurs morceaux. Ils se sac­ri­fient pour ceux qui font le sac­ri­fice. Ils con­sid­èrent le repas de trois sous, don­né dans un meet­ing comme une béné­dic­tion et con­fient leur vote à ceux qui les distribuent.

Pas un seul jour, ils ne se posent cette ques­tion : « Pourquoi je suis pau­vre comme ça ? ». Parce qu’ils croient que le Dieu les a crée ain­si. Ils aiment bien l’expression « Les cinq doigts sont tous différents ».
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Au 1er mai, ils sont heureux que cela soit férié, et de pou­voir aller dans des lieux de prom­e­nade. Ils font des yeux noirs à ceux qui se rassem­blent à Tak­sim, en dis­ant « Ah, ces jeunes, ils ne sont jamais con­tents, il va avoir encore des his­toires ». Mais ils ne deman­dent jamais pourquoi sur leur bar­be­cue il y a des ailes de poulet mais pas de côtes d’agneau. Ils s’accrochent à leur boulot au salaire min­i­mum, alors pour eux, les syn­di­cal­istes, les gauchistes sont des types dan­gereux desquels il faut se tenir loin. Ils s’attristent pour leur amis qui meurent dans des con­struc­tions, des chantiers navals, mais ils acceptent en met­tant sur le dos du « destin ».
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Comme dis­ait le grand patri­ote et poète Nâzım Hikmet :
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Irai-je jusqu’à dire que c’est de ta faute, non
Mais tu y es pour beau­coup, mon frère.
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(Scor­pi­on-La plus belle des créatures)

Işıl Özgen­türk

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Mamie Eyan
Chroniqueuse
Ten­dress­es, coups de gueule et révolte ! Bil­lets d’humeur…