Au Fes­ti­val de films indépen­dants de Los Ange­les, deux prix ont été décernés pour « Kur­dis­tan Kur­dis­tan », le dernier film de Bülent Gündüz, réal­isa­teur kurde : « meilleur film » et « meilleure chan­son originale ».

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Dédicaces touchantes et engagées

Lors des céré­monies, Bülent dédie avec émo­tion un des prix « aux mar­tyrs, à tra­vers Cemile, la petite fille de 10 ans, mas­sacrée à Cizre ».

Cizre, com­mune de Şır­nak, ville du Sud-Est de la Turquie, était sous cou­vre feu pen­dant plusieurs jours en sep­tem­bre. Cemile a été tuée lors du blo­cus, par les snipers, devant sa mai­son dont elle était sor­tie pour deman­der de l’aide pour son père tombé sous les balles quelques min­utes avant.

Quant au deux­ième prix, il est dédié, « aux enfants qui sont con­damnés à l’exil dont la mer dépose les corps sur le sable. » comme Aylan Kur­di, mort à 3 ans.…


Lire aus­si : Cizre ville mar­tyre.


 

Bande annonce du film :

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Bülent Gündüz

Né à Karayazı, com­mune d’Erzu­rum (Turquie Est) en 1979, Bülent Gündüz est diplômé en génie civ­il de l’Université Kahra­man Maraş. Très vite, il bifurque vers le ciné­ma et autres médias. Il étudie le jour­nal­isme à Istan­bul et quitte la Turquie pour des raisons poli­tiques. Il s’installe à Paris en 2001 et devient act­if dans le milieu du ciné­ma et de la poli­tique kurdes.

« Kur­dis­tan Kur­dis­tan » est son troisième film pour lequel il se charge égale­ment de la scé­nar­i­sa­tion, et tra­vaille avec  Savalı Aydar, Semih Yıldız (direc­tion pho­to), Ulaş Devrim Kara­sun­gur (mon­tage) et Amed Tabar (musique).

Une histoire d’exil et de retrouvailles

« Kur­dis­tan Kur­dis­tan » filmé à Muş en Turquie et à New York, racon­te la vie de Delil Dila­nar, qui fut obligé de quit­ter son pays dans les années 90, pour avoir chan­té en langue kurde dans un mariage. Au bout de 20 ans d’exil, lors d’un con­cert à New York, il annonce son retour à ses racines. Une fois au Kur­dis­tan, il ressent une pro­fonde soli­tude et tente de sor­tir de cet état avec son maître-musi­cien, venu lui ren­dre vis­ite au vil­lage. Ce dernier lui trans­met un dernier secret : attein­dre le zénith du « deng­bêj ». Delil Dila­nar, joue dans ce film, son pro­pre rôle.

Mais qu’est-ce que le dengbêj ?

En kurde « deng » veut dire « son »  et « bêj » veut dire « dire ». Le deng­bêj est donc celui qui dit des mots avec har­monie, celui qui donne de la vie aux sons. Tra­di­tion­nelle­ment le deng­bêj qui vit en se déplaçant d’un vil­lage à l’autre est un pré­cieux véhicule de la lit­téra­ture orale kurde. Il « dit » des épopées, des his­toires, des « kılam » (parole, prose, poème…) et chante des « stran » (chan­son). La plus grande par­tie des deng­bêj utilisent la voix nue, peu d’entre eux accom­pa­g­nent evdale-zeynike-documentaire-dengbejleur voix par le son des instru­ments comme « erbane » (daf) ou « bılur » (un sorte de, kawala ou flûte). Le deng­bêj abor­de un éven­tail de thé­ma­tiques très large, de l’héroïsme à l’injustice, de la beauté du print­emps aux bon­heur, amour et plaisir, mais aus­si aux souf­frances. (Voir le bonus musi­cal, une chan­son de Delil Dila­nar en fin d’article)

Il existe plusieurs deng­bêjs con­nus mais Evdalê Zeynikê est con­sid­éré comme une vraie légende. Bülent avait réal­isé en 2010 un pre­mier doc­u­men­taire sur la vie de ce grand maître. Le film « Evdalê Zeynikê » avait emporté le prix du meilleur réal­isa­teur et le prix du pub­lic au Fes­ti­val de film et vidéo indépen­dants de New York.

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Roboski, mon amour…

Le deux­ième film de Bülent vaut égale­ment le détour, « Robos­ki, mon amour », encore un doc­u­men­taire. Plusieurs d’en­tre vous se sou­vi­en­nent sans doute du “Mas­sacre de Robos­ki” : le 28 décem­bre 2011, l’avi­a­tion turque bom­barde le vil­lage d’U­lud­ere (Robos­ki en kurde), com­mune située dans le Sud-Est de la Turquie, près de la fron­tière de l’I­rak, dans le dis­trict d’U­lud­ere, tuant 34 Kur­des dont 19 enfants. Ils sont con­fon­dus, selon les autorités turques, avec un groupe de la guéril­la du PKK. Pour le gou­verne­ment turc, il s’agit d’une bavure, un pré­texte qui n’a jamais con­va­in­cu l’opinion publique. D’au­tant plus qu’au­cun respon­s­able civ­il ou mil­i­taire n’a encore été enjoint à ren­dre des comptes sur ce bom­barde­ment mortel.

Très touché par ce mas­sacre, le réal­isa­teur se rend à Robos­ki quelques semaines plus tard pour exprimer ses con­doléances et partager la souf­france des familles. Un an après, il retourne au vil­lage avec Han­dan Yıldırım (comé­di­enne), Gökhan Mezarcı (directeur pho­to) et İpek Kaya pour (ingénieure son) assis­ter à un rassem­ble­ment de com­mé­mora­tion sous le slo­gan « Que nos cœurs se trans­for­ment en pier­res si nous l’oublions ». Arrêtés par la police, ils parvi­en­nent dif­fi­cile­ment à attein­dre le vil­lage. Ils arriveront néan­moins à temps pour l’évènement.

Ils ont filmé leur périple, leur ren­con­tre avec les vil­la­geois, endeuil­lés mais aus­si très en colère ; par devoir de mémoire mais aus­si et surtout pour rompre le silence assour­dis­sant qui entoure ce crime resté jusqu’alors impuni.

La route de « Kurdistan Kurdistan »

La pre­mière mon­di­ale du film « Kur­dis­tan Kur­dis­tan » remonte au 27 août‑7 sep­tem­bre où se réal­i­sait Le Fes­ti­val de Films du Monde de Montréal.

Par­al­lèle­ment au fes­ti­val une pro­jec­tion spé­ciale avait été organ­isée par la fac­ulté de la lit­téra­ture orale, de l’Université de Cocon­cor­dia, pour les étu­di­ants et enseignants de la fac­ulté de ciné­ma. « Kur­dis­tan Kur­dis­tan » est entière­ment en langue kurde, donc pour Bülent : « C’est la con­tri­bu­tion du film à la lit­téra­ture orale kurde. »

La prochaine étape du « Kur­dis­tan Kur­dis­tan » sera le Fes­ti­val de Film d’Orlando les 21–25 octobre.

On lui souhaite excel­lent vent…

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Naz Oke pour Kedistan


BONUS

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.