Les attaques, les repré­sailles, les affron­te­ments con­tin­u­ent. Les jeunes meurent. La colère gronde, les réac­tions se multiplient…

A Bur­sa, Le Min­istre de San­té Mehmet Müezzi­noğlu s’est fait huer lors des funérailles de Bahadır Aydın, Ser­gent gen­darme, mort à Siirt. Un proche du sol­dat défunt s’est adressé au Min­istre en faisant allu­sion à ses paroles récentes sur le change­ment de sys­tème prési­den­tiel très souhaité par Recep Tayyip Erdoğan : « Si Erdoğan était élu Prési­dent [au lieu de Prési­dent de République] le pays ne serait pas entrainé dans la chaos » :

Mon­sieur le Min­istre, s’il était élu “Prési­dent” tout ça ne se serait pas passé, c’est ça ? C’est vous qui avez dit cela. Com­bi­en de sang sera encore ver­sé jusqu’à ce qu’il soit élu “Prési­dent” ?

Suite à cette inter­pel­la­tion, un mou­ve­ment de foule s’est pro­duit et  une bous­cu­lade avec les forces de sécu­rité s’en est suivi, de la part des par­tic­i­pants aux funérailles. Une per­son­ne a envoyé une bouteille  plas­tique sur le Ministre.

Le Min­istre entouré d’un cor­don de sécu­rité, s’est aus­sitôt réfugié dans un bâti­ment appar­tenant à la Mairie.


 

Les proches du sol­dat Recep Bey­cur, tué à Siirt à 22 ans, ont égale­ment réa­gi lors des funérailles au vil­lage Kırımkaya, com­mune d’Erzurum.

Le père du sol­dat avait été hos­pi­tal­isé,  frap­pé d’ une crise car­diaque, en apprenant la mort de Recep. La famille était représen­tée par l’ oncle Ömer Beycur :

Le Prési­dent de République peut être fier, il fait tuer le frère par le frère. J’ai envoyé mon frère, je récupère son cadavre. Que le Prési­dent de la République sache ça ! Tu sais ce que j’ai enduré pour l’élever jusqu’à cet âge ? Il n’a aucune peur du Dieu, il a couché ce jeune ici ? Il fait se mas­sacr­er les frères entre eux, le Dieu ne voudrait pas ça. Que ça arrive à son fils ! Ecrivez, écrivez ça, pour l’amour de Dieu, qu’il arrête de se faire mas­sacr­er les frères entre eux…. 

(désolés, vidéo sup­primée par le média propriétaire)


Le vice Pre­mier Min­istre Yalçın Akdoğan, a été chahuté à Kırıkkale lors des funérailles de Musa Say­dam, un des sol­dats tués à Kar­lio­va à Bingöl.

Les slo­gans « AKP dégage ! », « AKP assas­sin ! » n’ont pas cessé jusqu’à ce que Yalçın Akdoğan quitte la céré­monie. Suite aux fait que les protes­tataires soient passés au delà des bar­rières de police, les gardes du corps ont mis le vice-Pre­mier Min­istre dans la voituré et quit­té les lieux en vitesse.

(désolés, vidéo sup­primée par le média propriétaire)


 

Muretin Öztürk, sous offici­er de la gen­darmerie, tué a Kars a été inhumé au vil­lage Kalekışla de Kırıkkale.

Döndü, une dame de 81 ans :

Qu’il ne tuent pas les enfants des pau­vres, pen­dant que son enfant vit dans des yachts… Salue les par­tis de ma part ! C’est tou­jours les enfants des pau­vre qui meurent, c’est pas dommage .

Je ne sou­tiens aucun par­ti, je ne suis pas par­ti­sane. Mais je suis la fille d’un Ghazi [sol­dat blessé à la guerre] qui a fait 10 ans de guerre. [un proche lui souf­fle] C’est ça “le proces­sus de paix”, pas hon­teux c’est ? Pourquoi ils ne se réu­nis­sent pas, pourquoi ils ne font pas le par­ti [elle veut dire gou­verne­ment] ? Com­ment autant de sauvagerie peut exis­ter, com­ment une per­son­ne ne pense pas à son pays comme ça ? Com­ment il tue autant de jeunes, cet homme ? Ce n’est pas dom­mage ? Les mères pleurent, nous pleu­rons, il ne pleure pas… il vit… il vit… Qu’il enlève sa main du par­ti [gou­verne­ment], que tous les par­tis se réu­nis­sent pour faire le par­ti [gou­verne­ment].

Pas dom­mage c’est, pour nous, les pau­vres, les paysans ? Ce n’est pas pos­si­ble [d’en subir] autant.

Elle répond vis­i­ble­ment à quelqu’un qui l’interpelle :

Bien sur que je vais dire [par­ler], moi j’ai 81 ans, il n’a qu’à me met­tre en taule, mais que les jeunes ne meurent pas, qu’ils ne meurent plus. Ca sufff­fit mes enfants, ça suff­fit ! Ouff, il nous a épuisés, ça suf­fit !

[A par­tir de 1:26] Un mon­sieur s’exprime abat­tu, avec un poignant fatal­isme… Au fond on entend le “ağıt”, (lamen­ta­tions) de la mère du sol­dat décédé.

L’enfant du riche ne va pas à l’armée, l’enfant du pau­vre y va que veux tu dire d’autre. As tu 17 mil­lions de livre turques? [anci­enne LT]. Si tu les as, tu n’envoies pas ton enfant. Ces gens là, leur reli­gion, leur foi et l’argent. Quand tu vers­es 17 mil­lions, ton enfant ne va pas eu ser­vice mil­i­taire. Nous, nous n’avons pas pu le faire. Nous avons élevé des enfants pour notre patrie, notre peu­ple. Moi j’ai deux sol­dats. Un des deux est Ser­gent spé­cial­isé, il a démis­sion­né. Il a dit « Papa, je n’en peux plus. C’est impos­si­ble de sup­port­er ». Il vient de ren­tr­er. Mon autre fils, m’a demandé de lui trou­ver un boulot tech­nique, pour ren­tr­er lui aus­si. Je cher­chais un tra­vail pour lui…. auprès de la Mairie.. pour sauver mon fils de leurs mains. Et les Mairies, qu’elles ail­lent au dia­ble, nous nous sommes ren­dus à cha­cune d’elles, mais toutes les portes se sont fer­mées. Là aus­si, c’est pareil, si tu as des con­nais­sances… des élus, l’argent dans ta poche… ton truc se fait. Je n’ai rien d’autre à dire.


Et que doit faire cette femme ? Ayşe Aygün, mère de trois enfants qui s’ex­pri­mait devant les jour­nal­istes le 12 août, à la fron­tière à Suruç , en atten­dant de récupér­er le corps d’un de ses fils, com­bat­tant de YPG, tombé à Sir­rin à 18 ans :

Un de mes fils est sol­dat à Tokat, un autre est polici­er à Van… le troisième est mort en se bat­tant con­tre le Daesh. Je n’ar­rive pas récupér­er son corps depuis des jours… Ils font se mas­sacr­er les frères entre eux…

 

Pen­dant ce temps là… Tayyip con­tin­ue à faire ses dis­cours…  


Lire aus­si : Pen­dant qu’on compte les morts, le Sul­tan jacte 


Ce ressen­ti­ment qui monte, lors de funérailles, alors que le cha­grin pour­rait l’emporter, se répand dans le pays. Les gens du peu­ple en ont assez de voir leurs “fils” tomber pour des politi­ciens et des cor­rom­pus au nom de “caus­es” qu’ils ne parta­gent plus. N’ou­blions pas que ce sont aus­si ces ” petites gens” qui firent élire l’AKP en son temps, las d’un gou­verne­ment kémal­iste social libéral cor­rompu. Et les big­ots de l’AKP appa­rais­sent comme s’é­tant à leur tour partagé le gâteau.

Des répons­es arro­gantes et manip­u­la­tri­ces aux familles de vic­times des acci­dents du tra­vail (mines de Soma), aux cer­cueils qui ramè­nent les “fils” morts pour une poli­tique qui re-divise le pays, le sen­ti­ment d’in­jus­tice monte en même temps qu’une colère con­tre les nan­tis  fau­teurs de guerre.

Le “mou­ve­ment des mères” fait écho à la demande de “paix civile” du HDP qui trou­ve là sa pleine justification.

Coincées entre la néces­sité de l’au­to défense , et ce sen­ti­ment anti AKP qui s’ac­com­pa­gne d’une remise en cause de la “guerre”, les forces kur­des ont une respon­s­abil­ité poli­tique importante.

Jus­ti­fi­er l’é­tat de guerre, en allant au delà de l’au­to défense légitime, remet­tre sur la table des reven­di­ca­tions de céses­sion armée, serait totale­ment con­tra­dic­toire avec une néces­sité d’u­nir les forces con­tre l’AKP, y com­pris sur ce fond “moral” de la con­damna­tion des morts vio­lentes.… Et il serait naïf de croire qu’Er­doğan n’u­tilise pas cette arme de divi­sion pour faire éclater sur ces ques­tions la coali­tion du HDP. Le PKK a donc une respon­s­abil­ité forte, dans la façon dont il va agir, et jouer une pop­u­la­tion con­tre une autre serait apporter de l’eau au moulin de la clique Erdoğan, comme con­forter les ponce pilate soci­aux libéraux.

Au final, ce serait tout le proces­sus poli­tique entamé par le HDP qui serait anéan­ti, et avec lui, l’e­spoir à la fois des Kur­des et celui des opposants de la gauche turque.


Ajout 23 août :

Les médias pro-AKP, appar­tenant à des proches d’Erdogan, util­isés comme de véri­ta­bles organes de pro­pa­gande ont entamé une cam­pagne de déla­tion des mem­bres de famille des sol­dats morts, qui “osent” exprimer leur colère. Des arti­cles déclarant ces per­son­nes comme des “ter­ror­istes” sont pub­liés depuis 2 jours.

presse-pro-akp

Par ailleurs un Lieu­tenant Colonel, hurlait en rage aujourd’hui, lors des funérailles de son neveu Lieu­tenant Ali Alkan tué dans un attaque de PKK à Şırnak :

Qui est son assas­sin ? Qui est à l’origine [de sa mort]? Com­ment se fait-il que ceux qui par­laient hier de  [proces­sus de] « réso­lu­tion » dis­ent main­tenant « la guerre coûte que coûte » ? Ils n’ont qu’à aller faire la guerre eux-mêmes ! 

Pen­dant qu’une femme (vis­i­ble­ment du côté des caméras, donc hors cadre) sup­pli­ant dans un cri :

 Ne filmez pas, ne filmez pas ! Je vous en prie ne filmez pas !

Il n’est pas dif­fi­cile de saisir la crainte de cette femme, sans doute une proche, sur des repré­sailles éventuelles de la part de l’armée, ain­si que de l’acharnement entre­pris par les médias pro-AKP.

(désolés, une vidéo de plus, sup­primée par le média propriétaire)

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.